Biniou dans le ciel

Publié le par Paraph


    Vendredi vingt-neuf décembre deux mille six. Vingt heures cinquante-cinq. A peu près l'heure de la sieste, du pastis ou du potage. Je sors de table. Mes parents avaient sorti le grand jeu, saucisses, mélange de céréales cuit par asséchement. Fromage blanc. Ces temps-ci, ma vie tourne autour de la bouffe. La vraie, celle qui accompagne la parenthèse ensoleillée, les quelques heures journalières où l'astre malade éclaire vaguement le tout-venant. Je m'éveille tard, je passe les nuits à me retourner dans la poussière et la pénombre, et comme il faut bien s'occuper, je lis ce qui me tombe sous la main.

    Hier, j'ai goûté l'hiver, enfin, les bouts qui dépassaient. Pas mauvais, presque frais, mais à force de marcher, j'avais mal aux hanches, des courbatures dans les cuisses, et en fin de nuit, un début de tendinite au bras gauche, ou un ersatz de crampe. Un peu plus tôt, j'avais parcouru allées découvertes, boulevards encombrés et ruelles imprévues de la rive gauche, avant d'opter pour la rive droite et ses dangereux pavages. Trois heures de marche à deux, du Luxembourg aux Tuileries, de la Concorde à la Madeleine, en passant par Montparnasse, Saint-Michel et l'Opéra. Histoire de faire connaissance, par advertance, une conversation est si vite arrivée, c'est fou ce que le temps passe vite, quand on discute et qu'on oublie comme on peut la température indiscrète.

    Le temps d'un réchauffement dans un café presqu'onéreux, deux amies nous rejoignent. Soupe de nouilles japonaise, atelier gourmand (j'ai fini les plats de mes voisines de table), finale imprudente chez un glacier voisin. Vers minuit, je débarque chez Ramethep, à douze heures de s'envoler pour le Maroc, nous mangeons, buvons un peu de thé et un verre de whiskey (irlandais, celui qui a le goût du Bailey's), et puis je repars, vers deux heures quarante, il doit faire moins deux, vers les terres hospitalières du sud où je sais pouvoir abriter mon corps refroidi contre les rigueurs des frimas.

    Trente minutes de marche plus tard, coup de bol, j'arraisonne un bus de nuit juste avant sa prise d'assaut par des hordes de bizutheurs avinés, j'y lis au chaud, avant de regagner mon lit, vers quatre heures, un livre sous le coude, un petit matin indistinct, une fin de nuit, comme bien d'autres, entre les grains de poussière qui tombent des étoiles et des murs.

    Ce matin, émergé vers treize heures, tant bien que mal, pour aller rejoindre la table paternelle. Un repas de plus. Après-midi flou, j'ai achevé "La belle de Fontenay", je sais qui a tué la lycéenne et quel goût auront les patates. Vague bout de sieste avorté par le dîner impromptu en début de soirée. Avant ça, petite discussion avec mon frangin, de crochet par la demeure parentale, sur l'avenir, le mien en particulier, ma vision simpliste du bonheur inutile, pas besoin d'une grande barraque du moment qu'on a des étagères et des grands espaces au dehors.

    Programme de la soirée: à défaut d'une idée originale, d'un climat supportable ou d'amis accessibles à la pitié, retourner à ma couche, toute ourlée de poussière, achever, voire poursuivre ma lecture de "Byzantium endures", quelque peu négligée au profit des livres de poche plus pratiques à transporter dans le métro, dans la rue, ça tient dans la main sans exposer outre-mesure la main au vent mauvais qui souffle, fait rougir les chairs avant de les anesthésier pour mieux les faire sombrer dans ses griffes délétères. Une vague envie d'entamer autre chose, quitte à lire deux ouvrages en parallèle, priorité à déterminer selon l'intérêt du moment. En compétition, "2001: a space odissey" d'Arthur C. Clarke, ou la grosse pile de romans empruntés à ma tante, qui va bien finir par en exiger restitution un jour ou l'autre. Si je pouvais les lui rendre avant l'été, ça serait pas mal.

    Mes prédictions sur mon sommeil du jour: soit je sombre tout de suite, auquel cas je me réveillerai peu après minuit pour une insomnie jusqu'à l'aube, soit je tiens jusque vers cinq heures, après quoi je me traînerai mollement sous les rayons du soleil glauque, en attendant d'être éveillé. Je me dis qu'avec un temps pareil, et un dynamisme de ce tonneau, lire Lovecraft pourrait s'avérer être une expérience intéressante. Je tiens une forme de larve stellaire du grand Chthulu, qu'on se le tienne pour dit.

 


Publié dans schopenhauer

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article