La Culture Physique en Question

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    Mardi vingt-et-un octobre deux mille huit. Vingt-et-une heures quatre (heure française, quinze heures quatre). Aujourd'hui, j'ai marqué une pause dans mon entraînement de forcené pour atteindre la perfection dans les plus brefs délais. La fatigue y est pour beaucoup. Pas de course à pied, donc, ni de badminton, du moins jusqu'à demain. J'ai trop d'heures de sommeil à rattraper, et les courbatures d'avant-hier n'ont pas encore laissé la place aux muscles ankylosés d'hier. Marquons donc une pause dans notre course à la lune.

    Les Chinois, on l'aura compris en subissant cet été les vingt-neuvièmes olympiades modernes tenues en la ville de Pékin, ont le culte de l'hygiène corporelle, du physique au service de l'exploit, de la mise au pas de l'individu sur la collectivité. C'est surtout l'impression qui marque durablement ma rétine ici, dans le lycée de campagne où j'exerce mon sacerdoce: du soir au matin, les élèves n'interrompent que six petites heures leurs efforts pour devenir les athlètes médaillés de demain.

    Nuançons mon propos. L'école comporte quelque chose comme quinze paniers de basket, une dizaine de tables de ping-pong, un gymnase couvert entièrement consacré au badminton, une sorte de stade primitif sans gradin ni revêtement, piste de course entourant une pelouse maussaude équipée de cages vouées au ballon rond, et deux terrains de volley-ball pour faire bonne mesure. Certains tarés se lèvent à cinq heures du matin pour exercer leur passion du basket-ball et emmerder les profs étrangers qui aimeraient bien dormir.

    En classe, citer le nom de Yao Ming, super-star du basket évoluant dans la prestigieuse division d'honneur américaine, est un moyen certain de raviver l'attention des éléments les plus distraits. Cédant au milieu, notre professeur étranger est allé jusqu'à se fendre de quelques kopecks pour s'affubler d'un t-shirt à l'effigie du héros local. Succès total, sa cote de popularité a remonté en flèche après l'acquisition dudit article vestimentaire.

    N'écoutant que les sirènes de la renommée, notre héros, expatrié depuis six gros mois (moins juillet-août passés en France auprès des siens), s'est décidé à poursuivre à son tour la chimère de la culture physique. Plusieurs objectifs: perdre les kilos en trop pour se sentir mieux et cesser d'être l'objet des quolibets des élèves (les adolescents sont décidément les mêmes partout); se faire plaisir en retrouvant les sensations d'une jeunesse enfouie, en foulant la terre battue du stade pour défier le chronomètre et la douleur dans ses mollets; découvrir un sport inconnu, le badminton, et tenter d'y prendre son pied (notre héros manque de souplesse). D'autres objectifs encore, mais j'ai franchement la flemme de creuser mon inconscient à la recherche de mes motifs profonds.

    Autre avantage du sport à outrance, après une dure journée de travail passée à faire le clown devant les mioches, accumuler suffisamment de fatigue continue pour pouvoir, le soir, m'écrouler assez tôt (mettons, avant minuit, plutôt que vers trois heures). Mon psychanalyste-escrimeur de la préhistoire (olé!) n'avait pas tort lorsqu'il analysait pour causes fondamentales de ma débâcle de mai dernier, le manque de sommeil, la fatigue, la lassitude et l'éloignement du pays natal. J'abonde en son sens. Vivent l'épuisement total de mes forces vives, mon buste sculptural et mes chevilles en carton.

    Je ne déchante pas, mais force m'est de constater qu'au seuil de mes trente-et-un ans, pris en tenaille par les sportifs du matin, un emploi du temps merdique et une chaleur écrasante (trente-deux degrés cet après-midi, alors même qu'il a plu ce matin; Winter is coming, oui, mais quand?), quatre heures de sommeil, plus une ou deux siestounes sur un canapé trop petit entre deux cours mal agencés, ne suffisent pas à me maintenir en forme. Il faut donc faire un choix entre réduire ma dépense physique, me coucher tôt, redevenir le paria que j'étais autrefois.

    Problème supplémentaire, que je pressens déjà, cessation du sport, même momentanée, sera synonyme d'insomnie. Mais comme mon dos me tiraille, que mes jambes me lancent et que ma tête dodeline au sommet de mon long cou, j'imagine que je ne trouverai pas le sommeil si difficilement que cela. Nouveau compagnon de mes rares moments de repos, "A Prayer for Owen Meany", de John Irving, que j'ai commencé ce matin sur un coin de canapé sale avant de tomber dans l'oubli. Rien à dire sur le début, j'espère juste que la religion ne demeurera pas un des thèmes dominants de l'œuvre.

    Programme de la soirée: ne pas prolonger plus que nécessaire ma veille devant l'écran. Aller m'allonger, mon échine ne s'en trouvera pas plus mal. Lire, une durée indéterminée, moins de cinq heures j'espère. Demain matin vers dix heures, j'aurai franchi la barre symbolique des treize heures de cours dans la semaine, marquant la moitié de mon engagement hebdomadaire. Dormir durant les trois pauses émaillant ma journée de travail. Faire croire aux masses apprenantes que je sais de quoi je parle. Prendre part au tournoi de badminton organisé par les collègues, me prendre une grosse gamelle face au champion du lycée, partir en pleurant. Pas de répit pour les braves, pas de pitié pour les gros nazes venus défier les cadres du Parti au maniement du volant à plumes.

 
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G
Ce n'est qu'une question d'organisation !Bon ok c'est facile à dire... : )Quand tu auras trouvé comment dormir
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L
C'est curieux, j'avais déjà remarqué ça, mais tout un tas de gens qui s'expatrient se mettent au sport. J'aurais bien cherché une signification psychologique ou sociologique, mais en fait non. Ce post me donne en tout cas un exemple de plus !
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S
Ya pas un vieux moine qui fait des décoctions à dormir ?
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