Rameaux d'airain

Publié le par Paraph


    Mardi vingt-cinq juillet deux mille six. Onze heures sept. Trente-sept jours me séparent de l'échéance que je me suis fixée. A l'heure actuelle, je me sais incapable de la tenir. Je comptais me remettre à l'œuvre il y a huit jours, mais je ne l'ai pas fait. L'avenir immédiat se présente comme une succession de pique-niques, barbecues et fêtes galantes, repas d'adieu pour les amis partant au loin, pots pris entre deux trains avec les copains en transit. Ca me change pas mal de mon ordinaire, les étés ayant longtemps été synonymes de vide social, et donc existentiel, durant mes années d'étude, et ayant généralement amené avec eux une légère déprime. Depuis quelque temps, mes anciens camarades de fac étant tous employés par le Grand Salariat pour vendre leurs forces vives en échange des maillons dont ils tissent peu à peu la chaîne qui les rattache à l'existence, ils ont moins de vacances, et je peux les voir davantage. Je me sens moins seul, mais du coup, mes projets n'avancent pas.

    Hier, comme prévu -- ma vie est terriblement prévisible, et je ne m'en plains pas -- , après avoir mollement laissé s'enfuir les premières heures de l'après-midi, je me suis rendu chez Tormentor, en compagnie duquel j'ai tué le temps, mangé une salade, écouté de la musique compilée par un facteur norvégien, et avec lequel je suis allé voir "Tideland", le dernier film de Terry Gilliam, dans un petit cinéma de banlieue. Autant le dire tout de suite, j'ai bien aimé ce film, l'histoire d'une petite fille qui parle à ses poupées en gérant comme elle peut les vicissitudes de sa vie d'apprentie orpheline. Belles images, plans audacieux, l'actrice joue juste, tout est centré autour de l'enfance et des filtres qu'elle impose à la réalité pour la rendre tolérable. Et c'est adapté d'un bouquin, que je m'empresserai de commander dès que mon compte en banque en aura terminé avec son stage de plongée.

    Programme de la journée: lire. Je suis en train de lire la cinquième partie du roman-fleuve sur les paysans suédois émigrant en Amérique, après quoi je vais sans doute me lire "Treasure island" de RL Stevenson, que je n'ai jamais lu en entier, bien que l'ayant commencé étant gosse. Je suis hanté par l'image de Long-John Silver, son perroquet sur l'épaule, que j'ai vu tant de fois pastiché que j'ai l'impression de l'avoir toujours connu. J'ai trouvé le livre à un euro dans une brocante, autant en profiter pour m'instruire. Les romans d'aventures restent les plus intéressants. L'expérimentalisme littéraire, ça va cinq minutes, mais l'essentiel dans un roman, c'est qu'il donne envie d'être lu, de tourner les pages, de savoir la suite. Le style, c'est bien joli, mais un peu de substance, ça ne fait pas de mal. La nouvelle cuisine, ça ne nourrit pas son homme.

    D'ici une petite heure, passer chez mon frère pour qu'il me nourrisse. Dans l'après-midi, ne rien faire, ou lui tenir compagnie dans les activités qu'il aura choisi de m'offrir. Ce sont les vacances, après tout. Le soir, ne rien faire, sauf si on me propose de faire quelque chose. Mon budget du mois a considérablement fondu ces derniers jours, et se monte à dix euros pour la semaine, transports compris. De quoi avoir envie de rester chez soi. Ca tombe bien, j'ai un mémoire à écrire, et il serait temps que je me mette au travail. J'entends l'horloge qui fait tic-tac, là-bas, dans le fond des âges, et qui m'incite à me magner. Le salut est dans l'accélération, comme on ne le répétera jamais assez.

 

Publié dans schopenhauer

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