Cuvée spéciale douze ans d'âge

    Lundi douze juin deux mille six. Onze heures vingt-deux. Je me laisse déborder par tous les bords. Le soleil, l'air vicié de ma chambrette perchée sous un toit en ardoise industrielle, l'orientation de l'ensemble, plein est sans ménagement, ajoutent à la brièveté de mes nuits avinées, le sommeil matinal prend des allures de marécage tant la sudation exprime ses aigres reproches. Le drap, constellé des taches salées de la veille, ne couvre qu'à son corps défendant les membres dénudés, brûlés par le soleil, qui tentent d'y trouver refuge. L'été a commencé, le grand été. L'été de tous les déplaisirs, moite et ridé, qui darde sur la Terre entière toute l'ampleur de son courroux atomique.

    Hier, faisant fi des radiations, j'ai passé la journée chez des amis, autour d'une tasse de thé, pour une partie de jeu de rôles. L'exécution du tout a été perturbée par divers incidents (ascenseur coincé, raids de commandos aéroportés de pompiers descendant en rappel dans le salon pour obtenir de force les clefs de la cave où devaient se trouver les contrôles secrets du Grand Tout, irruption de hordes de paparazzi et cameramen en tous genres soucieux de violer notre intimité de comptoir, attaque par ondes hertziennes de surhommes en shorts venus de loin pour atteindre la Sphère Cosmique et la fouler aux pieds), mais je me suis bien amusé. La suite à dans deux mois, vacances obligent.

    J'applique en ce moment même le programme de ma journée: déclarer mes revenus. Ruiner l'industrie du disque en copiant des CDs pour ma sœur. Réserver un restaurant pour des gens. Démarcher d'autres gens pour un pique-nique que je n'organise pas. Relire le mémoire d'un ami. Ne pas prendre de retard dans mes propres écrits. Préparer les oraux du CAPES. Ne pas fondre, ne pas brûler, ne pas lancer contre les oiseaux du ciel et les bêtes qui rampent sur le sol une croisade vengeresse. Anticiper sur l'achat d'un vélo en novembre prochain.