Pain d'épices

Publié le par Paraph


    Dimanche trente juillet deux mille six. Midi deux. Les jours se sont téléscopés, m'entraînant dans leur collision. Je suis de retour au bercail après quarante-huit heures d'errance triangulaire. Le moral est au beau fixe, la fatigue est sereine, les volontés de me mettre enfin à la tâche sont bien réelles. Je m'y mettrai aujourd'hui si je me sens d'attaque, ou demain si j'attends d'être capable d'aligner deux neurones pour mettre en place une équipe de recherche. Trente-deux jours me séparent de la date fatidique à laquelle je dois remettre mon mémoire de maîtrise. Mon avenir est en jeu, il me reste moins d'un mois. Je pars en vacances dans douze jours, quoi qu'il arrive, peut-être pour revenir une semaine plus tard.

    Vendredi dernier, avant-hier, vingt-neuf juillet deux mille six, je me suis, comme prévu, rendu à Vitry-sur-Seine pour un barbecue. Première pointe du triangle. Arrivé à l'heure prévu, j'attends paisiblement que la maîtresse des lieux soit rentrée des courses. Vitry est une ville que j'aime bien. Elle a donné au monde plusieurs écrivains de renom, les côtes escarpées qui dominent les bords de Seine y accueillent une population cosmopolite agréable à l'œil et à l'oreille. A défaut de voyager, passez vos vacances à Vitry-sur-Seine, le paysement est assuré.

    Le barbecue fut un franc succès, malgré la volonté avouée d'ondées passagères de noyer nos saucisses. Elles ont péri jusqu'à la dernière. Les brochettes y sont passées. Les chipolatas n'ont pas survécu à la bataille, et je suis reparti avec les merguez. Dans l'intervalle, il a fait quinze degrés, j'ai perdu d'une courte tête au Trivial Pursuit, j'ai bu dix bières françaises sans goût pour m'occuper les mains, je suis resté dormir dans un lit trop petit. J'ai été réveillé par les ménagères locales s'interpellant en vietnamien. Je les ai presque comprises, mais pas assez pour en tirer grand chose. Ils ont ouvert un nouveau Tang Frères à Vitry.

    Hier, samedi matin, vingt-neuf juillet deux mille six, après une matinée de farniente mâtiné de lecture, j'ai fini par me faire déposer au métro de Villejuif. Les tergiversations téléphoniques ont conclu à un rappel des troupes chez Ramethep. Thé, chocolats du Cotentin, gobage de merguez à-demi crus, visionnage d'un épisode des "Avengers", discussions à bâtons rompus avec Vertige, chasse au trésor pour retrouver la carte d'identité de Ramethep égarée sur les lieux. Séance de cinéma, "Tournage dans un jardin anglais" ("A cock and bull story"), une comédie subtile, adaptée du roman "Tristram Shandy", curieusement présent au programme de cette agrégation d'anglais à laquelle je ne pourrai m'inscrire que si j'ai bouclé et soutenu mon mémoire de maîtrise dans les délais impartis.

    Dans la soirée, pot d'adieu en l'honneur de Joe Gold, du côté de la Place de Clichy. Bière russe, biscuits lithuaniens, vodka ukrainienne, divers autres produits non identifiés. Le tout, dans une ambiance très chaleureuse, a duré jusqu'à l'aube, et un peu au-delà. J'ai rencontré, dans le désordre, un peintre sur mobilier, un photographe maître en arts martiaux, un linguiste fou cloné sur le moule habituel, un lutteur polonais narcoleptique. Et l'occupante des lieux, une charmante Finlandaise, nous a très gentiment accueillis. La soirée a vite tourné à la spirale. Je ne me souviens plus précisément de ce que j'ai pu dire ou faire, à part somnoler une heure sur un canapé, manger des biscottes au bacon, boire divers trucs alcoolisés dans des verres isothermes, échanger spontanément mes coordonnées avec des inconnus peut-être appelés à devenir des amis.

    Sur le coup des sept heures du matin, je suis reparti vers la troisième pointe du triangle, retour au bercail pour une matinée floue. Douche, pouvoir enfin me changer de vêtements après deux jours sur la route, déposé brièvement dans le sandwich des draps pour une sieste improvisée, deux ou trois heures d'un sommeil insuffisant. Au réveil, j'ai les idées claires mais confuses, la voix pâteuse mais assurée, les trente-deux prochains jours clairement dessinés dans ma tête, imprimés sur ma rétine en lettres de feu. Je n'ai plus le choix. Il FAUT que je me prenne en main. Mon avenir en dépend. Et ma bonne conscience, ce qui est sans doute au moins aussi important.

    Programme de la journée: ne surtout pas me mettre au travail. Dans une petite dizaine de minutes, déjeuner en famille, sans prendre l'apéro à cause des excès alcoolisés de la nuit. Je suis à l'eau de source jusqu'à nouvel ordre. Faire une courte sieste après bombance, ou finir "Dans les bois éternels", le dernier Vargas qui est, comme tous ses romans, bon et mauvais à la fois, trouver un nouveau livre à lire. Attendre que Vertige me rejoigne, et partir nous promener en forêt, sous la pluie, ou rester à buller sur la terrasse en attendant le retour de la canicule. Dans la soirée, un peu plus de la même chose. Si j'ai le temps, commencer mes révisions en indonésien, chinois et birman. Pour commencer. Et apprendre à me servir de Photoshop, j'ai une revue à mettre en page pour début septembre.

 

Publié dans schopenhauer

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P
Ils sont bons parce que les personnages sont attachants, et que les histoires sont originales. Ils sont mauvais parce qu'ils sont mal écrits, que les personnages se limitent souvent à des tics grossiers, et que les intrigues sont bancales. Les défauts ne me gênent pas tant que ça, sinon je ne prendrais pas un tel plaisir à la lire, mais il faut bien être conscient des points forts et des défauts des différents auteurs. Et puis, ça n'engage que moi, et je force le trait, et puis, ça faisait bien, donc j'ai eu envie de le dire. 
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L
Une lectrice sort de son silence pour te poser une petite question : pourquoi trouves-tu que les bouquins de Vargas sont bons et mauvais à la fois?<br /> Courage pour ton mémoire.
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