Contre Vents et Marées

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    Mercredi vingt-quatre septembre deux mille huit. Quinze heures seize (heure française, neuf heures seize du matin). Petite mise à jour de mes aventures statiques en Chine méridionale. Dans trois quarts d'heure, je partirai pour le dernier cours d'une rude journée de travail. Le moral est bon, mais j'ai la voix éraillée.

    Depuis un mois que je suis de retour en Chine, la routine s'est mise en place, dans une chaleur infernale (jusqu'à trente-huit degrés à l'ombre certains jours). Depuis hier soir, grâce à une ondée passagère, il fait légèrement moins chaud. Toujours est-il que la canicule me tue à petit feu. Vivement l'hiver, que le vent glacé charrie jusque sous les Tropiques les relents sibériens qui n'auront pas manqué d'engloutir Pékin sous la neige.

    Mais nous n'en sommes pas là. Il fait trop chaud, donc, et pour s'accorder avec le climat, j'ai contracté une rhinopharyngite similaire à celles que je subis, deux ou trois fois par an, en France. Ou alors, c'est la peste bubonique, auquel cas je suis condamné, mais vous aussi. Cerise sur le gâteau, je me suis foulé la cheville, pas plus tard que vendredi dernier, en jouant au badminton. C'est dommage, car je prends plaisir à m'adonner à ce sport. Une fois remis, je m'y remettrai. Voire avant, soyons fous.

    J'ai perdu du poids. La fournaise me coupe un peu l'appétit, et l'activité physique, tant en cours que sur le terrain de badminton, tend à faire fondre la graisse. Et puis, il n'y a ici, ni fromage, ni cassoulet, ni fondue, ni raclette, ni... Cessons là, de peur que ne s'installe la nostalgie du paradis perdu; non que la nourriture chinoise me rebute, mais il est des affinités surgies au berceau dont l'absence se fait ressentir jusqu'aux tréfonds des os une fois qu'on s'en trouve privé.

    Au dernier compte, j'ai perdu sept kilos depuis mon départ, il y a tout juste un mois. Encore quelques kilos, et j'aurai retrouvé ma silhouette de cycliste anémique. Il faut dire que le Sultan, plus extrémiste que moi dans sa volonté de maigrir, pratique un véritable régime avec courbe de décroissance, suppression des aliments gras, réduction des portions journalières au strict minimum. Je continue de m'enfiler un litre de bière par jour, et un canard rôti de temps à autre.

    Petite rencontre insolite, je me suis fait couper les cheveux par des frères jumeaux, qui après m'avoir (mal) rasé (les Chinois, n'ayant que très peu de pilosité faciale, manquent d'habitude dans l'ablation des toisons mentonnières chez autrui, quand bien même leur métier consiste à trancher les tignasses), m'ont invité dans leur grenier pour y jouer du Metallica en cantonnais. Ils m'ont convié à revenir faire un bœuf en leur compagnie, je n'ai pas dit non (je ne sais jouer d'aucun instrument).

    J'ai de nouveau les cheveux courts, il faisait trop chaud, et le visage glabre, jusqu'au moins prochain (je laisse repousser, trop la flemme de me raser tous les jours, je ne l'ai jamais fait, je ne vais pas commencer maintenant). Les élèves ne m'ont pas reconnu, trouvent que je fais plus jeune, me préfèrent avec ou sans la barbe, et estiment que mes cheveux sont encore trop longs. Je suis un prof, je fais ce que je veux, d'abord. Bandes de petits morveux.

    L'interface avec les gamins est plutôt bonne. Ils sont étonnamment jeunes (nés en mille neuf cent nonante-trois en moyenne, je sais, ça ne nous rajeunit pas). Ils me donnaient moins que mon âge (trente ans). Je suis encore trop jeune pour être leur père, mais si je persévère dans le métier (ce qui n'est pas gagné), ça deviendra inévitable. Je suis sans doute trop gentil, ça commence à devenir le bordel, en classe. A ce tarif, il serait de bon ton que je prépare mes cours, la semaine prochaine.

    Petits instantanés du calendrier chinois. Il y a deux semaines, avait lieu le "Jour des profs", où les élèves offrent des cartes de vœux à leurs enseignants, des cadeaux et des bonbons (enfin, des châtaignes, nous sommes à la campagne, et c'est justement la saison des marrons). J'ai reçu quelques cartes, une tirelire en cochon-soldat, quelques châtaignes, et des pliages en papier. Je suis un professeur comblé, jalousé de tous mes collègues restés au pays (ils n'avaient qu'à démissionner de l'Education Nationale aussi, d'abord).

    La semaine dernière, trois jours fériés à l'échelle du pays, pour célébrer la fête de la mi-automne (selon le calendrier traditionnel, luni-solaire). Principales activités: manger des "gâteaux de lune", à base de haricots verts et de jaunes d'œuf; regarder la lune en famille; rentrer au pays et passer voir ses parents plus ou moins proches, une fois par an c'est ce jour-là. Conséquence, j'ai été invité chez une famille par des élèves, atelier de confection de raviolis chinois, repas avec des parents riches à millions, cours particulier de français pour les filles du coin.

    J'y ai goûté ma première bouteille de vin rouge chinois, pas le bas de gamme apparemment, et j'ai été agréablement surpris. Sans fromage, il est bien sûr difficile d'évaluer la qualité d'un vin, mais je pars d'un a priori positif pour les prochaines dégustations (tant qu'on évite la piquette de base, mauvaise en France comme ailleurs). Re-belote le lendemain, chez d'autres élèves, devant l'édition locale des jeux télévisés où des minet(te)s sans talent rêvent de devenir des chanteurs/ses sans talent, mais célèbres, le temps d'un été.

    Le Sultan prend, tous les jours, des cours de chinois, auprès d'élèves ou de collègues chinoises, et fait sans doute des progrès fulgurants. Il achète des plantes vertes pour faire de son appartement un sanctuaire, une jungle où puiser la quiétude et l'oxygène du peuple. Je me suis acheté une revue chinoise retraçant la mort du Che Guevara, et révélant les détails du plan secret X fomenté par les Anglais, fourbes et perfides, cela va sans dire, contre les intérêts chinois dans le monde. Le pays qui m'emploie est formidable, pas paranoïaque pour un sou. Puisque je vous le dis.

    Lectures à petit feu, "House of Shards", de Walter Jon Williams; "Cat's Cradle", de Kurt Vonnegut; et le second volet des romans préhistoriques de madame Jean M. Auel, "Valley of the Horses". Depuis que j'ai récupéré une connexion digne de ce nom, je perds beaucoup de temps en ligne, et je lis moins. Le travail y est aussi pour beaucoup. Et ma vie sociale, je ne vous raconte même pas.

    Programme de la journée: dans dix minutes, partir au front, assurer mon dernier cours de la journée. Dans la foulée, jouer au badminton, dans un gymnase surchauffé, en dépit du bon sens et de ma foulure à la cheville. En soirée, clopiner en ville pour y manger une soupe de serpent ou un riz frit à l'huile de cuisson (miam). Me coucher tôt, je suis au bord du gouffre. Déjà deux siestes depuis ce matin, et je tiens à peine sur mes jambes. Encore un coup de la chaleur excessive.

    Programme des jours à venir: deux jours de boulot, cinq cours chacun, et viendra le week-end. Rien de spécial au programme, sinon un sommeil réparateur et des pauses fréquentes. Lecture. Apprentissage du chinois. Mercredi prochain, fête nationale chinoise, trois jours de repos bien mérité. Vivent les hasards du calendrier, les grasses matinées et les chutes brutales de température.

 
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