Le Lentigo du Wendigo

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    Jeudi sept août deux mille huit. Vingt-trois heures cinq. De retour sur Paris après deux semaines d'escapade montagnarde, j'ai dû essuyer un revers dans ma tentative de renouer avec l'entrefilet (le modem parental était à changer), avant de pouvoir revenir sur ces pages. C'est chose faite. Hautbois, musettes, claironnez, faites entendre vos doux mugissements.

    M'étendre jour après jour sur les trois semaines écoulées depuis la dernière mise à jour de ce carnet de bord serait, pour le moins, fastidieux. Fort heureusement, j'ai noté par le menu chacun des repas pris durant cet intervalle, et je me propose d'en partager avec vous le détail, à commencer par le petit déjeuner du lundi vingt-et-un juillet.

    Réflexion faite, je me contenterai de survoler la chronologie, préférant donner une vision d'ensemble de ma vie, aussi passionnante soit-elle dans ses recoins les plus poussiéreux, plutôt que d'inonder l'hypothétique lecteur d'une routine indigeste et massive. Je ne prétends ni à la légéreté, ni au titre de comestible; du moins m'efforcerai-je de limiter mes digressions.

    Du mardi vingt-deux juillet au vendredi premier août, j'ai profité des vacances parentales, organisées dans un gîte rural des Pyrénées-Orientales, pour me joindre aux promenades en basse montagne de mon père, aux virées sur la côte en compagnie de ma belle-sœur, aux parties de scrabbe de ma mère, et pour couler des jours paisibles, une valise pleine de livres, un courant d'air à disposition et un roulement familial permanent.

    J'en suis revenu bronzé, c'est-à-dire les avant-bras légérement rosis (on a la peau qu'on peut), reposé mais pas assez, content de retrouver la grisaille parisienne et les amis. Il fait trop chaud, mais l'hiver n'est pas loin; les amis sont, pour moitié, partis sous d'autres cieux, l'autre moitié travaillant d'arrache-pied pour assurer le pain quotidien; le compte-à-rebours de mon retour en Chine entame sa phase finale.

    Mes billets d'avion pour la Chine sont pris, je m'envolerai de Paris le vingt-six août prochain, avec une escale à Zurich, à destination de Hong-Kong, que j'ai préféré à Shanghaï et Pékin, somme toute assez éloignés de ma province, ainsi qu'à Canton, équidistante mais où, n'ayant jamais mis les pieds, j'ai peur de m'égarer. Je connais un peu Hong-Kong pour y avoir mis les pieds en mai dernier, missionné par mon lycée chinois pour tenter d'obtenir un renouvellement de visa (que j'obtins avec succès et les félicitations du jury).

    Au milieu de mon séjour pyrénéen, une mienne cousine s'est mariée, sur Perpignan, permettant ainsi une réunion de famille comme il n'en survient que pour les occasions de ce type. Le repas de mariage était bon. Depuis que je suis rentré de Chine fin juin, j'ai pris quelque chose comme cinq kilos: la faute au fromage, dont la République Populaire est, hélas, dépourvue, et sur lequel je ne cesse de me précipiter à la première occasion. Le Sultan a souffert du manque de chocolat, personnellement, je déplore l'absence de fromage, là-bas, dans mon lycée rural du Jiangxi.

    J'y retourne dans moins de trois semaines, donc, et je commence, doucement mais mollement, à planifier mes cours pour la rentrée qui surviendra, avec efficacité faute d'originalité, le premier septembre. Mon contrat m'oblige à opérer mes fonctions de prof d'anglais jusqu'au quinze février deux mille neuf. Le retour en France s'effectuera le vingt février, histoire de dire. Au bout de six mois, j'éprouverai le désir de me ressourcer. Jamais un camembert n'aura été aussi désiré.

    Depuis une petite semaine que je suis de retour sur Paris, j'ai repris mes sessions hebdomadaires de jeu de rôle, mes parties de scrabbles quotidiennes, mes lectures désespérées et mes sudations de saison. J'ai croisé le Docteur Zuba, de passage sur Paris depuis les vagues du bassin d'Arcachon, le temps d'une partie de badminton effrenée, en plein soleil, sur l'esplanade des Invalides. J'ai sillonné la banlieue de mes semelles de feu, écumé les rues de Paris sur les vélos libres mis à la disposition des voyageurs, et déploré que Ramethep, chez qui j'eusse pu dormir en feignant de regarder des films, fût parti sous d'autres climats.

    Le temps passe vite, trop vite peut-être. Il me reste presque trois semaines avant de reprendre le chemin de l'école, peut-être pour la dernière fois (si je parviens à dénicher un métier davantage dans mes cordes; mais n'anticipons pas). L'angoisse point quelquefois, sous le vernis d'insouciance que la belle saison plaque sur les cœurs rapatriés, mais l'exil menace, de ses yeux rougeoyants, les aventuriers imprudents que le vent porte, inéluctablement, vers les ports qu'ils ont choisis pour prolonger, le temps d'un semestre aviné, leur lente dérive.

    Jalon important dans ma vie de bourlingueur, j'ai le mois dernier, pour la première fois, mis les pieds en Espagne, le temps d'une après-midi. Mon espagnol a suffi à me faire comprendre, malgré les pratiques locales, puisque nous étions, mon frère, ma belle-sœur et moi-même, à Barcelone, capitale de la Catalogne, fière de son identité culturelle et linguistique (j'avais oublié en région parisienne ma méthode de catalan, et feue ma grand-mère n'a jamais entrepris, hélas, de transmettre l'idiome à ses descendants). J'y retournerai immanquablement, au fil des ans, et je m'enfoncerai toujours plus avant vers l'intérieur de la péninsule.

    Les lectures de ces dernières semaines se sont enchaînées selon un rythme irrégulier, nécessairement réduit par la vie collective, les randonnées pédestres et les expéditions frontalières. En vrac, et sans prétendre à l'exaustivité, énumérons quelques titres, sur lesquels je reviendrai volontiers si j'en trouve le temps: "Rock of the Ages" et "Implied Spaces", de Walter Jon Williams; "A Small Town in Germany", de John le Carré; "Un lieu incertain", de Fred Vargas; "The Armageddon Rag", de George R.R. Martin; "My Life as a Man", de Philip Roth; "Malone meurt", de Samuel Beckett; "L'amour dure trois ans", de Frédéric Beigbeder; "The Blessing Way", de Tony Hillerman; en chantier, "Baise-moi", de Virginie Despentes.

    Programme de la soirée: lutter contre la chaleur en me fatiguant plus que de raison. Le retour d'une connexion au monde irréel des entrefilets exerce sur moi son attirance, et menace de consumer mes nuits. Il faudra s'efforcer de ne pas accroître le décalage somnique, les six heures perdues entre la France et la Chine menaçant de briser mes forces avant même d'y être soumis. Lire un certain temps, dormir aussi tard que possible. Demain, couscous et fajitas. Et deux à trois kilos de brie, pour faire bonne mesure.

 
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