L'Ogresse des Parfumeurs

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    Mardi huit avril deux mille huit. Onze heures quarante-quatre du matin, heure chinoise (heure française, cinq heures quarante-cinq du matin). La forme de ce matin est plutôt indistincte. Après avoir dormi toute la matinée, au lieu d'assurer mes enseignements, ça va relativement mieux. Deux heures de cours cet après-mid, suivies de l'English corner (club de conversation en anglais, extra-curriculaire, pour les élèves motivés), et je laisserai derrière moi un bilan mitigé de ce début de semaine.

    Hier matin, mes trois premiers cours ont été annulés, sans que j'en fusse prévenu. Mes élèves allaient, une classe après l'autre, se faire tirer le portrait par le photographe de l'école. Je me suis malgré tout déplacé, toutes les heures, pour constater l'absence de mes ouailles, la vacuité des locaux, la chaleur étouffante régnant au-dehors. Chou blanc sur chou blanc, seul mon dernier cours de la matinée ayant eu lieu. J'eusse pu dormir trois heures de plus, ce qui n'eût pas été du luxe, la chaleur rendant mon sommeil plus difficile qu'à l'accoutumée, les réveils plus fastidieux, la chair amorphe et les moustiques voraces.

    A midi, le Sultan et moi-même avons appris que nos cours de l'après-midi n'auraient pas lieu, car nous étions inclus dans la troupe déléguée en représentation, dans un collège de la région, pour convaincre les futurs lauréats du brevet de la qualité de notre établissement. Nous avons pris un mini-bus, conduit par un collègue prof d'informatique, contenant également le vice-principal, un prof de chimie et une prof d'anglais, chargée de nous traduire les borborygmes du Maître.

    Une demi-heure de route avant de débarquer à Datang, sympathique village situé dans les collines au sud-est de la ville. Population du collège, deux mille élèves environ. Seuls quinze pour cent poursuivront leurs études en lycée général, et parmi ceux-ci, dix pour cent seulement auront la chance d'aller à l'université. Le reste ira grossir les rangs des ouvriers, commerçants et riziculteurs, si nombreux en milieu rural. D'où l'importance de notre mission, ambassadeurs tant de notre culture que des enjeux de notre employeur.

    Après un discours interminable du Maître, le Sultan et moi-même avons fait à deux une parodie de cours, devant un amphithéâtre bourré d'élèves de troisième. Bonne réception de la foule. Des dépliants ont été distribués aux futurs clients potentiels tandis qu'une vidéo larmoyante, vantant les mérites de la camaraderie, de l'effort et du choix d'un bon lycée, était projetée sur le mur de la salle. A l'issue de la projection, le Sultan et bibi avons signé des autographes au bénéfice de collégiennes émues jusqu'aux larmes d'avoir affaire à deux grands escogriffes issus d'un autre monde. Hop. Populaire. Je me présente aux prochaines élections, maintenant que je sais gérer les bains de foule.

    La suite de notre périple incluait la visite d'une école d'arts martiaux, à proximité du lycée. Un collège dispensant, en plus des cours généraux, des leçons de kung-fu, de culture physique et d'élévation de l'esprit par le burinage de la matière. Le principal, un judoka moustachu large comme deux barriques, nous a servi le thé dans son bureau avant de nous faire faire le tour de son établissement. En traversant la cour, entouré d'enfants curieux de contempler les diables étrangers, j'ai, en plaisantant, demandé où était Bruce Lee (Li Xialong, "Petit Dragon", en chinois). La foule s'est écartée devant un Chinois de treize ans, sec comme une brioche restée trop lontemps au soleil, souple comme un roseau. Démonstration impressionnante.

    Etape suivante, montrer aux élèves que notre haute taille fait de nous des monstres du basket-ball. Yao Ming, le géant chinois évoluant en NBA, n'a heureusement pas profité de notre présence pour visiter son village natal et ridiculiser nos efforts visant à nous faire mousser auprès de la populace. J'ai tout de même marqué un panier, sans doute par hasard. Etape suivante, visite d'une orangeraie.

    Les orangers étaient en fleurs, répandant dans l'atmosphère un doux parfum cuivré. Devant le coucher de soleil sur les pyramides aztèques, nous avons contemplé l'immensité du monde, célébré la beauté de ce soir de printemps, pris des photos et rejoints nos hôtes pour un repas arrosé. Sushis. Saké chinois. J'en ai trop bu, j'ai vomi et suis resté un moment dans la cour du restaurant, les yeux fixés sur les étranges constellations dessinées par la gerbe étalée, avant de regagner la fête.

    Nous avons bu jusqu'à une heure avancée. Le maire du village, ancien élève de notre lycée, est venu dîner avec nous. Toast sur toast. Tout un tas de plats trop épicés. De retour au bercail, le Sultan et moi-même avons acheté un ballon de football pour jouer sur le terrain de l'école, dans le noir, avant de renoncer et de rentrer dormir. Ce matin, bras cotonneux, jambes un peu lourdes, bouche pâteuse et crâne gonflé comme une outre, je me suis fait porter pâle. Quelques heures de sommeil supplémentaires m'ont quelque peu requinqué.

    Programme de la journée: sortir manger un bout. De préférence, le garder en moi et le digérer. Assurer mes cours de l'après-midi. Le responsable vient de m'informer, par courrier électronique, que des profs d'anglais en maternelle viendraient assister à mes cours pour apprendre de mon exemple. Allez comprendre. En soirée, acheter un ballon de basket, jouer au tennis de table et remplir ma demande de visa. Dormir mal, dormir peu. Enchaîner sur une pleine journée de travail. Hop. En cadence. Souquez ferme, matelots.

 

   
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